Plus près de toi mon dieu

Publié le par jonzeroad

  Martine et José, quadragénaires nîmois las de la routine, des raffarinades et de la brandade, se tirent au Belize, ancien Honduras britannique.

  Arrivés à Dangriga, deuxième ville du pays peuplée de 8000 âmes, ils sortent de la gare routière à la recherche d'une pension. L'après-midi, un rasta suave propose son aide, il est "guide".
Ils déclinent mais l'arapède s'accroche:
 - you want grass?
 - bof, j'aime pas les salades!
Ils lui filent 5 $ Belize pour leur acheter des clopes. De retour, pas de tiges...
Les 5 dollars se sont évaporés. Ils mangent des brochettes dans une gargote, il se fait offrir un coca et se barre.
La marchande les met en garde:
 - you know him, one friend of yours? Be careful, he is a very bad man.
- don't worry, no problem.
- he's a robber and may use sometime a knife.
José répond tel un cacou du Chemin Bas d'Avignon:
- alors, je lui mettrai un taquet et l'estramasse d'un scope dans les alibofis!

  La ville, y a pas grand chose à voir, la rue principale est bordée de petits commerces, quelques snacks, des bars où des noirs désoeuvrés têtent des bières au goulot, des mini-markets chinois où personne ne parle l'anglais, seulement le mandarin, les employés s'agitant mollement sous la surveillance d'un jeune boss à la longue touffe de poils jaillissant du menton.
Une plage pierreuse et sale, le maigre marché aux légumes, la pêcherie rouillée, quelques barques sur la grêve, des maisons ébranlées par l'ouragan Mitch.

   Le lendemain matin, José et Martine marchent dans la rue à la recherche d'un café.
En vain, pas de café, seulement des bars à bière.
 Un aimable Garifuna buvant une Belinkin les envoie chez Rosa, la vendeuse de plantes:
 - she may prepare coffee, one Belinkin please.
Derrière son échoppe de bois, ils parlent en espagnol et sympathisent. Rosa est une réfugiée salvadorienne, son mari mort à la guerilla.
Elle tient son herboristerie dans une bicoque brinqueballante et vend des plantes étranges, des produits aphrodisiaques, des peaux de serpents, des écorces, des remèdes contre toutes maladies: impuissance, tuberculose, diabète, solitude, manque d'amour, insomnie, folie, angoisse, cancer, stérilité, des gri-gris, des poudres mystérieuses, des graines, des fleurs séchées...
Elle protège et nourrit sa famille nombreuse:enfants, petits-enfants, brus.
Seul l'ainé gagne quelques sous en revendant les bouteilles vides à la capitale Belmopan.
José pensait aux paroles du soca de Jahmin Mac Lean, Mama Cangrejo:
"Baja mama cangrejo con sus huevitos camino al mar
miles de cangrejitos con sus huevitos van a dejar
todos a la montaña van a crecer debajo de las piedritas sus lindas casas van a hacer
 asegurando el futura de la nueva generacion
 Cangrejo, mama cangrejo, certain time of the year
 black crab come down and wash her sparm, after two months later
young crab cramb on the land and young crag is the future of the land"
Les membres de la famille partagent deux maisons de bois autour d'une cour de terre envahie de poules, poussins et chats faméliques. Un cagibi de guingois à moitié écroulé fait office de sanitario.
Rosa dort sur une banquette au-milieu de ses plantes.

   Seul son petit-fils Marvey, beau métis athlétique, a l'air heureux, il ne travaille pas et passe le temps à charmer.
Pour ce Casanova aux dread-locks perlés, c'est le salon de coiffure dans la cour, deux cousines s'affairent, démêlent, lavent ses tresses de paon magnifique.
 Le soir, José et Martine le retrouvent dans la boîte locale, seuls blancs parmi deux cents noirs rieurs, dansant le punta rock, le brukdown, des musiques endiablées.
Les couples plaqués dans un corps à corps frénétique, cuisse contre cuisse, sexe contre sexe, bouche à bouche.
Une grosse fille ivre remonte sa robe, dévoile son bide rond, son string éléphantesque.
Marvey danse comme un dieu, caresse, étreint à pleines paumes les pommes de sa copine, une belle garifuna au teint clair.


  Le surlendemain, dans la rue menant à l'embarcadère, ils revoient le rasta somnolent, assommé de fatigue, d'alcool et d'herbe, il semble retenir les murs de la boîte.
  - yeah, frances! a boat to Mango Cayes? I'm the captain, very cheap! Offer me a beer.
  - yeah, belices! where are my 5 $? no beer, no boat, nothing!
    I'll throw to water, fuck you!
   - frances, you're not kind, you just look like the french man put in jail for ten years, the guy who killed a couple in a sailboat.
   - j'ai été relaché la semaine dernière, ne m'emmerde pas, sinon je vais te noyer, belices de mierda, dit José furieusement menaçant.
Le rasta file ou plutôt traîne ailleurs, gromellant des insultes.
José avait lu dans le Belize Times un article sur  un meurtrier français qui avait rencontré dans la Caraïbe un couple de plaisanciers, avait organisé une fête à leur bord, les avait saoulés, drogués et assassinés et volé leur voilier pour le revendre.

  Deux jours plus tard, José et Martine embarquent vers Mango Cayes, ilôt d'un km² à une heure de canot à moteur. Quelques rares cocotiers, un hôtel désaffecté, des huttes, un wharf de bois, le récif de corail affleurant à 10 mètres du rivage, la mer transparente.
Ils imaginent les pirates mouillant à quelques encablures, les boucaniers, trafiquants de tabac et d'esclaves, des ripailles orgiaques...
Ils logent à l'unique pension, the Paradise, tenue par Barry et sa femme Eva.
 A l'entrée, une pancarte indique en lettres énormes: PARADISE FOR HAPPY FEW, le paradis pour les rares méritants. St Pierre, c'est Barry, sexagénaire débonnaire de Boston, sorte de chef scout, de curé défroqué, de prédicateur pentecôtiste.
 Une grande salle à manger sous les palmes.
 Le repas est annoncé à la cloche, allez pauvres pécheurs, chiens humains, venez prendre votre pâtée à l'heure dite pavlovienne.

 Partout accrochés sur les troncs, des pannonceaux édifiants:

             DIEU EST AMOUR              ECONOMISEZ L'EAU                           SOYEZ PROPRES
  
    PAS DE PROPOS IMPOLIS                         LE ROYAUME DE DIEU APPARTIENT AUX PURS     
            
                     MANGEZ A L'HEURE             L'ALCOOL TUE                                       AIME TON PROCHAIN

                               RESPECTEZ LA NATURE              RANGEZ LES MASQUES ET LES TUBAS A LEUR PLACE


   Dans la pension éco-bigote, Barry et Eva s'occupent des ouailles égarées.
A l'apéro, buvant une bière, José devise:
  - Barry, do you know the famous prayer of Jacques Prévert, french poet.
  " notre père qui êtes aux cieux
     restez-y
     et Vichenou la paix "
et de rajouter en verve:
- d'ailleurs, quand je serai mort, je préférerais aller directement aux enfers, les femmes y sont brûlantes.
La discussion devient difficile, aigre.
José continue et tient des propos irrévencieux au-sujet du pape, sous le regard fulminant de Barry mais avec l'approbation muette d'Eva jubilant en douce.
Barry courroucé ne cesse d'écraser les mouches sur la nappe.
  - why this violence, you are a flies serial-killer, dit José narquois.
  - I'm not a serial killer!
     I don't like flies, it's dirty.
Obsession du paradis originel, débarrassé des insectes, des serpents, de la flétrissure des mécréants

 Et José d'imaginer derrière le visage amène du pentecôtiste étatsunien; qu'il s'agissait en fait d'un criminel fuyant la justice, qu'il s'était refait une vie idéale, apostolique, planqué sur son atoll, expiant ses péchés passés sous le soleil ardent et le regard divin sans excés d'alcool.
 
 

Publié dans Sur la route

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